Journée professionnelle ADBEN Île-de-France

Publié le par Les documentalistes du bassin de Sarcelles-Gonesse

Vous pouvez retrouver ci-dessous la transcription d'une prise de notes lors de la journée professionnelle des enseignants documentalistes d'Île de France du 02 avril 2014. Le thème était : "L'EMI, un nouveau défi pour les professeurs documentalistes?".

Les interventions prises en notes sont celles de la matinée : le discours de Mme Houpert, la conférence-débat d'Hervé Le Crosnier et la conférence d'Anne Cordier.

Les vidéos de la journée sont consultables ici.

Journée professionnelle des enseignants documentalistes d’Île de France :

« L’EMI, un nouveau défi pour les professeurs documentalistes ?

Compte-rendu des interventions de la matinée

Transcription de la prise de notes d’Amélie Boulay. Je prie les intervenants d’excuser d’éventuelles erreurs d’interprétation et omissions.

Ouverture de la journée par Anne Godbille, présidente de l’ADBEN Versailles.

Rappels historiques sur la profession et des questions qui l’ont concernée ces dernières années, notamment autour des learning center.

Discours de Mme Houpert, IA-IPR EVS en charge du dossier documentation dans l’académie de Versailles

Mme Houpert indique que sa présence montre que l’Institution nous reconnaît dans notre rôle spécifique. Le sujet choisi est un sujet sur lequel l’Institution a besoin de notre apport spécifique et nous plonge au cœur de notre métier. La question qui est posée est : l’EMI est-elle une nouveauté ? Si oui, en quoi est-ce une nouveauté pour le professeur documentaliste ?

Sur le terrain, on a la tentation de ramener l’inconnu au connu, c’est-à-dire l’EMI à la recherche documentaire et à l’éducation aux médias. Il est plus intéressant d’envisager l’EMI dans une approche globale des contenus et de la connaissance : elle concerne des contenus différents médiatisés dans des lieux variés par des acteurs différents (not. une médiation horizontale [= entre pairs]). Elle nécessite donc une approche beaucoup plus globale que la recherche documentaire et l’éducation aux médias. Elle recouvre les notions de langage, d’espaces sociaux, de représentation/subjectivité, d’idéologies véhiculées par les outils de médiatisation. Elle nécessite de prendre en compte différents publics (puisque les médias ciblent leur public) et d’envisager les médias comme objets produits qui font appel à des technologies ; c’est donc une logique économique qui est à l’œuvre. L’EMI s’envisage dans une logique de développement de l’individu et a pour objectif de se passer, à terme, de la médiatisation des professeurs documentalistes.

Les pratiques des professeurs documentalistes sont actuellement remises en cause par la recherche en langage naturel, une recherche de plus en plus linéaire (pratique de l’hypertexte), une remise en cause du statut de l’auteur et un document qui n’est plus sacralisé. La nature des outils a entrainé un changement dans les pratiques des usagers et donc dans les pratiques des professeurs documentalistes. Les jeunes ont des pratiques : qu’en fait-on ? Elles sont fragmentées, comment en faire un parcours ? Ils produisent et diffusent des informations, comment l’intègre-t-on dans nos pratiques professionnelles ? L’Institution attend qu’on participe au développement de l’autonomie procédurale mais surtout à une autonomie de pensée. Il s’agit de développer l’esprit critique vis-vis des médias mais aussi des modèles économiques et idéologiques qui sont derrière. Il est nécessaire de réfléchir à la continuité des apprentissages et donc au stockage des éléments [produits/travaillés] par les élèves.

Il s’agit de former à un usage respectueux des autres et de soi-même car l’enjeu majeur est de développer des usages démocratiques, le partage, la collaboration et la solidarité.

Intervention d’Hervé Le Crosnier, Maître de conférences en Informatique à l’Université de Caen : Enjeux de la culture numérique dans l’éducation

Internet n’est plus un outil mais une situation : tout se fera avec dans le futur. Si on veut un citoyen autonome, il faut que l’école participe à l’apprentissage de cette situation.

  1. Pourquoi cette culture numérique ?

Il faut avoir à l’esprit qu’internet, le numérique (l’usage, les mots), l’informatique (le matériel) sont des janus bifrons, avec un côté libérateur et un côté oppresseur. [Hervé Le Crosnier propose ainsi une liste de notions et problématiques à double face qui montrent la nécessité de cette culture : ]

  • L’accès à l’information, la culture, la critique (liberté d’expression ; culture « open », éducation tout au long de la vie, fin de la pénurie culturelle avec des objets numériques duplicables à l’infini)

VS La manipulation des individus (identité et publicité avec l’industrie de l’influence ; monétisation de l’activité des foules : « économie des abeilles », c’est la production d’information par les gens qui est la vraie valeur ; c’est une valeur sociale mais qui n’est pas exploitée par l’ensemble de la société).

  • Outils d’émancipation (usage dans les mobilisations - « printemps arabe » -, capacité à construire du commun, à entendre d’autres discours – les ONG, Wikipédia)

À ce sujet, notre rôle est de se concentrer sur la diversité culturelle, de promouvoir plutôt que de sélectionner.

VS Outils de normalisation

  • Capacité de création de nouveaux médias (baisse du capital fixe nécessaire pour produire des biens, internet outil de coordination – cf Wikipédia, baisse des coûts de transaction, expression individuelle).

VS malgré cela, une immense concentration médiatique (cloud computing ; GAFAT = Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter ; nouvelle sociabilité des « amis », passage de la démonstration à la conversation => internet c’est la conversation à l’échelle planétaire ; cela devient facilement le café du commerce mais c’est aussi la façon dont les idées s’imprègnent chez les gens).

  • Le problème de l’intimité : Serge Tisseron parle d’ « extimité ».

Il faut comprendre, dans la relation avec les jeunes, que ce qui est public n’est pas « tout public ». Pour eux, tout le monde peut voir mais seule une partie des gens sont concernés - et les autres n’ont pas intérêt à s’en mêler ! Le problème est que cela laisse des traces. + questions liées à la construction de l’identité ; volonté de changer de peau (= de réseau ?) ; gestion de l’ennui (20 sms/h en moyenne envoyés en classe).

  • La dilatation temporelle et spatiale

Internet n’est pas un succédané de la rencontre, cela la prépare. La co-présence reste très importante. + Multi activité (2e écran, dispersion)

  • L’image de soi (avec en outre le taggage des photos, la reconnaissance des visages) : comment apprendre à se respecter et à éviter le cyberharcèlement ? Il faut le faire à l’école puisque les médias ne le font pas (ils ne nourrissent de l’extraordinaire).
  • Identité et authentification

L’authentification centralisée dresse une carte. Cela posera le problème de l’appartenance : à la grande entreprise ? à la communauté ? La communauté de choix peut s’opposer à la communauté de destin.

  • Citation et plagiat

Un ordinateur est un outil à copier/coller/partager/diffuser. Si on ne le veut pas, il faut interdire l’ordinateur ! C’est une donnée, point. La question est comment préserver des choses essentielles, puisque je peux prendre ce qui ne m’appartient pas ? Il faut mettre en route une logique de don/contre-don (citation).

  • Surveillance : non visibilité de la fabrique de la connaissance ; utilisation des métadonnées par les pouvoirs économiques et politiques ; effets sur la personnalité.
  • Conversation : de nouvelles formes de conversation simples (like/RT) : il s’agit de monter que l’on est là à l’autre, avec lui.

2. Quelle culture numérique pour les élèves ?

Plusieurs alternatives sont possibles :

  • Quelles convergences entre enseigner l’informatique et enseigner la culture numérique ? Comment articuler les deux apprentissages ?
  • Est-ce à tous de faire, donc à personne ? (ex du B2i)
  • Quelle méthode ? Quelle place pour l’enseignant ? C’est une vraie question pédagogique et c’est une chance ! Il est nécessaire de plonger les élèves dans une situation de problème, de les faire travailler par projet en coopération pour résoudre un problème (par ex. créer un jeu). Le support « ordinateur » est à la fois ce qu’on doit vaincre et ce qui ne nous juge pas : une erreur de code fait que le jeu ne fonctionne pas mais n’est pas jugeant pour les élèves.
  • Hervé Le Crosnier ne croit pas au « apprendre à apprendre », pour lui c’est botter en touche. On apprend des choses. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est comme le B2i et le C2i.
  • Il faut modifier notre approche de l’ordre scolaire. La question qui se pose alors est « comment maintenir de la discipline à l’intérieur de l’autonomie » ? C’est une opportunité pour les professeurs qui pensent que leur métier est décrié.

En conclusion, la culture numérique vise à donner aux jeunes les moyens de l’émancipation, les former à de nouveaux savoir-vivre, des pratiques de partage, de nouvelles formes de respect. Il ne s’agit pas d’une culture de la peur, mais d’une culture de la maîtrise citoyenne.

Questions et remarques de la salle

  • Question du matériel : Pour HLC, il est indispensable d’avoir du matériel qui fonctionne ! Il faut que la collectivité impose aux sociétés de payer des impôts pour payer des informaticiens chargés de l’entretien du matériel.

Concernant l’informatique, les enseignants doivent avoir une pratique pour garder leur crédibilité ! Mais il faut aussi accepter qu’elle soit fragile.

  • Les MOOC

L’idée d’internet comme outil d’apprentissage est intrinsèque. Les MOOC sont une énième expérience de ce caractère natif de l’internet. Mais HLC ne croit pas du tout que cela remplace et comble les faiblesses de l’École. Pour des petits de 8 ans, il y a un Himalaya de savoir à apprendre, il leur faut de l’aide et les écrans ne peuvent pas remplacer cela. Par ailleurs, 10% des inscrits seulement finissent les MOOC. Enfin les gens qui s’inscrivent sont majoritairement des hommes blancs riches et déjà formés.

Intervention d’Anne CORDIER, Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Rouen : Pratiques info-communicationnelles des jeunes et pratiques pédagogiques : le temps de la (ré)conciliation

L’idée est que dans les discours, les pratiques des jeunes et les pratiques pédagogiques sont opposées, et il s’agit de revenir sur cette opposition.

  1. [Du côté des jeunes]
    1. 1. Des pratiques générationnelles ?

Les digital natives sont une « imposture » selon Louise Merzeau. Il s’agit plutôt d’une reproduction de distinctions. Il n’y a plus de fracture dans l’accès au numérique mais une fracture de second niveau : utiliser n’est pas comprendre. Chez les élèves de milieux favorisés, il y a une diversité des pratiques familiales. Chez les élèves de milieux défavorisés, les outils sont moins diversifiés, et se limite souvent à l’utilisation de jeux. C’est une distinction à la Bourdieu, une sorte d’héritage culturel reproduit.

  1. 2. Des pratiques expertes ?

Les élèves ont conscience qu’il leur faut être des digital natives dignes de ce nom, il y a une sorte d’injonction dont ils sont conscients. De plus, il y a souvent une appétence mais ce n’est pas une expertise. Enfin, l’expertise ne peut pas être posée comme permanente, elle dépend du contexte.

  1. Du côté des pratiques : observations de terrain

NB : Anne Cordier explique qu’elle fait de la recherche qualitative, dans un environnement spécifique, et que les données ne sont pas toujours généralisables.

  1. 1. Des pratiques info-communicationnelles à connaître et à prendre en compte
  • Elles sont souvent invisibles, et il faut donner de la visibilité à l’invisible :
  • Pour reconnaître la légitimité de ces pratiques (ce sont des savoir-faire véritables)
  • Pour « faire avec pour aller contre » (enrichissement et obstacle en même temps)
  • Pour donner du sens social à l’enseignement
  • L’affect est très engagé dans l’activité informationnelle. Il y a aussi une dynamique de circulation sociale quand l’expertise est transmise entre pairs. Cependant cette expertise reste technique et elle concerne souvent un outil bien spécifique (ex : élève qui maitrise bien Windows Movie Maker mais seulement cet outil).
  • Des pratiques multimédiatiques

Véritables potentialités en termes d’exploitation pédagogique + le numérique peut permettre d’organiser l’environnement informationnel de travail.

Le numérique devient un cadre de référence des discours des élèves du secondaire («le clic de l’appareil photo c’est mon like à moi »).

  1. 2. Des pratiques pédagogiques en information-documentation qui évoluent

3 axes dans les pratiques des professeurs documentalistes :

  • Prendre appui sur les pratiques ordinaires des élèves pour leur donner du sens et aborder des notions info-documentaires essentielles. Ex : document de collecte.
  • Organiser et structurer l’information en donnant à connaître des outils cognitifs non pratiqués dans la sphère non formelle (constituer sa « valise documentaire » selon Fondin). Ex : utiliser un pearltrees
  • Faire des outils d’info-com socialement partagés des objets d’enseignement d’apprentissages communs, en réfléchissant aux conditions de création des outils qu’on utilise et en les inscrivant dans une histoire sociale des techniques. Ex : Twitter
  1. Du côté de l’institution : réflexion et (in)certitudes
    1. 1. Faire entrer l’école dans l’ère du numérique : oui MAIS
  • Situations matérielles ubuesques. Système D, élèves désabusés, profs docs agacés
  • Nécessité de renforcer la formation continue des enseignants (profs docs et enseignants de disciplines), au-delà de la formation aux outils numériques disciplinaires
    1. 2. EMI, EMI, où es-tu ?

De réels espoirs, de réels questionnements : il y a reconnaissance d’une nécessité d’une littératie mais est-ce une énième « éducation à » non mise en pratique ?

Il est nécessaire d’avoir des temps de formalisation institutionnalisés, ancrés dans les SIC, et surtout pas d’entrée « outil ».

Pour Anne Cordier, cela ne peut pas être pris en charge par d’autres enseignants que les professeurs documentalistes, qui seraient reconnus et installés dans leur rôle d’experts en SIC.

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P
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